Histoire Ton regard se porta vers les autres jeunes hommes et jeunes filles qui s’alignaient face à l’estrade ; tu déglutis difficilement. Tu ne comprenais pas. Vous aviez toujours été très fidèle au Lord, en apparence. Vous aviez toujours soutenu ses choix, sans forcément être dans les premiers rangs, mais vous n’aviez jamais contesté ce pouvoir. Et pourtant, on vous a éjecté dans le district 1 sans ménagement. Avec amertume, tu soupçonnais que votre couleur de peau soit quelque part là-dessous. Malgré tous les efforts de ta famille pour se soumettre aux souhaits du Lord, ça n’avait pas suffi. Le pire, c’était probablement ce qui était en train d’arriver en ce moment même. Tu défiais du regard quiconque osait croiser le tiens. Tu te retenais. Tu avais pris des calmants. Tu te faisais suivre mais tu avais bien du mal à contrôler ton impulsivité. Au fond de toi, tu voulais exploser. Quelqu’un commença à faire un discours. Un sifflement strident déchira tes tympans. Tu te pris la tête dans les mains, te plia en deux, à deux doigts d’hurler. Tu étouffais. Tu te redressas soudainement en entendant le nom de ta petite sœur. Tes membres bougèrent sans que tu ne les commande. Tu te faufilas jusqu’à l’estrade, poussant sans ménagement quiconque osait te barrer la route. Tu n’avais pas ta baguette sur toi, mais tu hurlas que tu allais tous les tuer. Tu pris ton frère par le bras, le tirant avec toi. Il ne voulait pas. Tu le trainas quand même. Tu te souvins avoir reçu un endoloris avant de tomber à terre.
En reprenant connaissance, tu découvris qu’on avait attaché tes bras et tes jambes à un lit qui n’était pas le tien. Tu avais une télévision devant toi. Tu crus comprendre que quelqu’un s’était porté volontaire à la place de Ruya, ta petite sœur. Mais tu hurlais. Ou du moins tu le voulais. Un sortilège t’empêchait de t’exprimer comme tu le souhaitais. Tu gesticulais dans tous les sens. Le sang coulait aux endroits où les lanières te retenaient. Tu voulais insulter chaque personne qui daignait se présenter à ton chevet. Chaque médecin. Ils ne venaient jamais seul. Ils espéraient te calmer. Tu leurs crachais au visage. Tu pleurais de rage. Tu faussais leurs analyses. Hors de question pour toi de te laisser faire comme un bête de laboratoire. Tu connaissais tes problèmes, on t’avait déjà dit que tu avais un trouble de la personnalité borderline, pas besoin d’en rajouter une couche. Tu voulais revoir ta famille. Réduire en miettes le capitole pour ce qu’ils t’avaient fait. Faire une révolution. Tu agissais toujours excessivement. Tu n’y pouvais rien. C’était plus fort que toi.
Tu compris vite que tu devais faire une croix sur ta vie d’avant. Tu avais été assigné au district 5, avec Kassem, ton petit frère, Ruya, ta petite sœur et les autres membres de ta famille. Avec interdiction formelle d’en sortir. Tu les avais entrainés avec toi dans ta chute. Ta colère et ton impulsivité avait encore une fois prit le pas sur le reste.
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Tu l’avais attendu longtemps.
T’avais cru que votre histoire irait au delà de tout ça.Tu nageais aussi vite que tes bras te les permettaient. Comme si t’espérais atteindre une terre si éloignée que plus personne ne pourra te demander de quel district tu venais. Tu aurais aimé fuir. Mais tu ne pouvais pas. Tu ne voulais pas abandonner ce qu’il y avait avec toi. Tu avais entraîné tes cadets. Tu devais les protéger. Les nourrir. Tu devais te venger. Envers le Capitole et envers tout ceux qui avaient fait de ta vie ce qu’elle était.
Elle n’était jamais venue. Ou en tous cas elle n’avait jamais essayé de te revoir. Tu t’en remis très difficilement –et même aujourd’hui, peut-être pas complètement. Tout marchait si bien, tout semblait fonctionner. Vous étiez deux grands noms de sang pur et personne n’était là à vous emmerder comme les couples mixtes. En changeant de district ça avait été un peu plus compliqué, mais vous aviez tenu tout de même. Alcyone venait de sortir de Poudlard à votre rencontre, et à peine tes yeux se posèrent sur elle que tu sus qu’elle serait tienne. Son sourire t’avait fait fondre. Ses yeux plus brillants que l’étoile dont elle portait le nom t’avaient enchantés. Elle n’avait pas un caractère facile, mais elle savait te calmer. T’apaiser. Te rendre aussi doux qu’un agneau. Et c’était un exploit en soit. Maintenant qu’elle n’était plus là, tu ne ressentais plus qu’un abîme, un trou sans fin au fond de ta poitrine. Tu savais que tu n’étais plus à grand chose des crises que t’avais pu avoir dans le passé –comme celle de la mort de ton grand frère. Alors pour combler le manque, tu nageais. Tu ne faisais que ça. Tu avais l’impression d’être dans une bulle. D’être hors de tout. Tu étais seul, il n’y avait personne pour te déranger… Jusqu’à ce qu’on te rappelle à l’ordre. Tu étais chasseur. Tu détestais ça. Tuer, même la plus petite des bêtes te répugnait. Et pourtant, c’est là tâche qu’on t’assigna, et tu n’avais pas le droit de te défiler. Tu courrais vite plus vite que quiconque. Tu étais un atout indéniable pour les chasseurs du district cinq. Même si rien ne t’écoeurait davantage que de savoir que tu tuais pour nourrir ceux qui t’avaient assassiné.
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Tu poursuivais un cerf avec le peu de discrétion dont tu étais capable. Tu n’étais pas sûr que le métier de chasseur fût celui qui te convienne le plus. Tu te faisais remarquer partout où tu passais, bien malgré toi. Tu étais grand, tu marchais bruyamment, tes yeux semblaient percer l’âme de quiconque osait s’aventurer dans ton regard. Tu faisais peur. Les gens du district cinq te prenaient pour un ancien prisonnier d’Azkaban. Tu avais une sale réputation. Tu avais des amis, des collègues, mais bien peu comparé au nombre de personnes qui te craignait. On racontait des histoires sur toi, que tu te transformais en monstre la nuit pour manger les enfants. Ils n’avaient pas entièrement tort sur ce point. Un soir alors que tu montais la garde près d’un campement de résistants tu dus assister à ton premier bain de sang. Plus tard, tu prias tous les dieux que tu connaissais pour les remercier d’avoir épargné ta famille, qui était restée en ville ce soir là. Une meute de loup garou s’était aventurée dans votre refuge et avait réduit à néant le moindre signe de vie qu’ils avaient rencontré. Toi, t’avais essayé de les défier, pauvre fou. Tu y étais allé à mains nues. Tu avais vu le chef de meute, le plus grand, le plus imposant. Tu avais décrété qu’il était le tien, et que tu ne le laisserais pas s’en sortir vivant. Mais sur la vingtaine de résistants vous étiez deux survivants, deux blessés graves. Deux atteints, gisant parmi les cadavres de vos camarades. Deux loup-garou.
Tu te juras de te venger de lui. Tu avais entendu un nom se murmurer : Greyback. Tu n’avais pas vu sa forme humaine, mais tu savais qu’il ne mourrait que de ta main. Tu ne vis personne pendant des mois. Tu n’osais plus adresser la parole à qui que ce soit. Tu avais peur de devenir cette bête de foire. Tu avais peur de les blesser. L’autre survivant de ce massacre, tu ne lui jetas même pas un coup d’œil. Tu ne tenais pas à te faire un ami dans la souffrance. Les bois étaient devenu ta deuxième maison, tu y restas bien trois mois, le temps de te faire à ta nouvelle condition. Puis un jour, tu te décidas à rentrer. On t’accueillit tel un… lâche. Ta version de l’histoire, peu de gens y croyaient. Tu ne voulus pas leur dire que tu étais devenu un monstre. On pensait que tu avais fuis le combat. Même Kassem ne voulait plus entendre parler de toi. Seule Ruya voulait bien te croire. Après tout, si tu avais fait tout ça, c’était pour elle, et pour personne d’autre.
La vie reprit son cours. Le nom de Greyback s’ajouta à la liste interminable des gens que tu voulais voir mourir de ta main. Tu chassais, nageais, protégeais ta famille. Et les nuits de pleine lune, tu faisais frémir le village entier, enchaîné à un arbre dans les bois, de la main de ta sœur, toujours dans l’incapacité de contrôler ta forme de loup-garou.